Notre jeunesse fut empreinte de certains principes, tels que marques de politesse obligatoires, en général mais spécialement à l’égard des adultes et notamment à l’endroit des personnalités du village : le Maire, l’instituteur, le curé, et Madame Agnès, figure locale du catéchisme dont les séances restent gravées dans les mémoires.
Bien que le vouvoiement soit resté ancré, Madame Agnès est devenue avec le temps Agnès, ce troisième prénom qu’un caractère bien trempé avait très tôt placé devant Anne-Marie et Françoise, pourtant couchés en tête par ses parents sur le livret de famille.
Née à dole le 28 novembre 1930 en sixième position de la fratrie Colin, elle passa dix années à Besain avant que la famille ne s’installe dans la ferme de Balerne en 1941. Si l’abbaye de Balerne est administrativement liée à la commune de Mont sur Monnet, ses fermiers vivent alors pour des raisons géographiques au rythme des calins. C’est donc l’école de Ney, la plus proche du domicile, que cette fillette de onze ans côtoyait chaque jour à raison de trois kilomètres à pied à l’aller et autant au retour. Inconcevable de nos jours. Sur son temps libre, comme tous les enfants d’agriculteurs à l’époque, elle aidait ses parents à la ferme. Ce fut en quelque sorte un apprentissage de ce qu’elle ferait jusqu’à environ vingt ans.
Au cours de l’année précédant le décès de son père survenu en 1950, sa sœur Madeleine épousait Paul Cattenoz, un calin dont le frère attira aussitôt l’attention d’Agnès et vice-versa. Ainsi en 1955, Agnès épousait Robert Cattenoz. Les deux couples s’installèrent dans la ferme familiale à Ney.
Quatre ans plus tard se profilait ce qu’il est coutume d’appeler un heureux évènement. La naissance de Dominique fut le fruit d’un accouchement difficile qui provoqua de lourdes séquelles et un lourd handicap pour l’enfant.
Le 8 mars 1960, Daniel vit le jour tandis que sa tante Madeleine quittait la scène, laissant quatre enfants sous le même toit qu’Agnès, devenue en un jour mère de six garçons dont quatre enfants de cœur. Jean-Claude, Gérard, Pascal et Gilbert étaient immédiatement placés sous son aile protectrice, suppléant l’absence de leur maman. Ils se souviennent encore de ces tartines alignées sur la table à la sortie de l’école, préalable indispensable avant les leçons d’histoire et autres disciplines qu’Agnès leur faisait réciter, n’hésitant pas à les renvoyer travailler si tout n’était pas parfait, chacun dans une pièce distincte voire dans les escaliers pour le plus jeune d’entre eux.
Un deuxième garçon, Raymond, agrandissait la troupe en 1964. Mais en 1965, une dure épreuve frappa la famille avec la disparition de Dominique, qu’Agnès avait accompagné durant six années avec une attention de tous les instants et les soins quotidiens d’une mère aimante à un enfant chéri victime d’un accident de la vie avant son premier souffle.
Ce drame marqua un tournant dans l’organisation de la famille, matérialisé par la construction d’une maison qui allait accueillir la famille de Robert à quelque cinquante mètres de celle de Paul, après onze années de cohabitation.
Myriam se présentait en 1969, mettant un terme définitif à cette série masculine à priori immuable chez les frères Cattenoz. Que du bonheur pour Agnès et sa famille. Enfin une fille.
Les multiples tâches au foyer représentaient un travail à plein temps avec le jardin, si grand, les repas, si bons, l’éducation des enfants, si sérieuse, les trajets au bois, si périlleux pour retrouver en forêt Robert et son Latil, sans oublier la prière du soir durant laquelle le rire était proscrit.
Il ne fallait pas rire non plus à l’heure du catéchisme. D’aucuns s’en souviennent parmi les calins de ma génération qui ne se risquaient pas jadis à faire un pas de travers en présence de Madame Agnès.
Je me souviens d’une ambiance plus détendue dans les années quatre-vingt, chez Agnès et Robert, au cours d’un repas de conscrits discrètement arrosé mais agrémenté d’un excellent lapin au goût rassurant, surtout pour les filles, prélevé dans le clapier familial et mitonné par Agnès, dégusté au lendemain d’un menu aux arômes félins, surtout pour les filles, cuisiné par la Marie.
Agnès donc, était très investie dans les activités paroissiales de la commune, mais pas seulement. Membre de l’Association Sportive de Ney, elle avait endossé la fonction de secrétaire pour la section Basket, apportant son concours à Babeth. Au Centre de Soins Infirmiers de Champagnole elle avait apporté son concours en qualité de secrétaire bénévole.
Une réelle volonté de s’occuper des autres en général, des nécessiteux en particulier. Agnès avait cette qualité et le montra encore avec Ambroise, jeune prêtre sénégalais quasiment adopté le temps de sa formation et accompagné toujours par Agnès et Robert, dans sa vocation et en faveur des actions qu’il mène encore au Sénégal en faveur des autochtones. Ambroise est revenu sur sa terre d’adoption, le temps d’accompagner dans cette église Saint Martin qu’elle a tant côtoyée et bichonnée celle qu’il considérait comme une mère, pour un voyage sans retour vers ceux qu’elle a aimés, Robert, parti en 2011, et Dominique, leur fils de six ans.
Nos condoléances à Daniel, Raymond, Myriam et Ambroise, aux garçons de Paul et Madeleine, aux familles Cattenoz et Colin.