Il est parti le 3 décembre à soixante-trois ans sur un chemin menant vers l’Au-Delà. Non pas la Roche d’Au-Delà et son belvédère des Doigts du Diable qu’on atteint via le Chemin de la Vierge, en quête d’une vue imprenable sur les lacs, Sylans et Nantua. Même si cet itinéraire aurait pu faire partie de son carnet de route, la destination serait plutôt un autre endroit paisible après les derniers méandres de sa vie, dans lequel il trouverait refuge et réconfort, auprès respectivement de Marie et d’Anne-Marie, sa maman.
Bruno avait commencé son parcours en 1962 en se plaçant troisième d’une fratrie de quatre dont Hervé, Geneviève et François, créée comme à l’époque en un temps record par Frédéric Cattenoz et Anne-Marie Grandvuinet, entre cinquante-neuf et soixante-trois. A l’école primaire de Ney il commença à construire son cercle d’amis parmi lesquels ses précieux conscrits, peu nombreux, et par extension leurs ainés et cadets nés à un an d’intervalle. Il suivit ensuite sa scolarité à Champagnole.
Jeune, Bruno aimait déjà sélectionner des cailloux, plats ou pas, qu’il lançait tantôt sur l’eau pour faire des ricochets, tantôt dans les airs défiant les copains qui seraient forcément battus sur la distance de vol. C’était sa fierté. Il aurait pu choisir l’athlétisme et le javelot. Il essaya la gymnastique puis le football. Au cours d’une séance d’entraînement à la Champagnolaise je fus témoin d’un accident insolite : Bruno s’était appliqué à bien grouper les jambes pour réaliser son saut périlleux, au point de se flanquer un genou dans l’œil avec en prime un œil au beurre noir. Quant à la seconde discipline, il considéra qu’il prenait trop de buts. Dix-sept dans sa carrière de goal, en un match.
A dix-sept ans, il entrait en apprentissage à l’imprimerie Gresset, le fleuron économique local pourvoyeur de nombreux emploi sur la commune et le bassin champagnolais. Il y restera jusqu’à sa retraite à soixante ans. Excellent régleur et très pointilleux sur la qualité de son travail, il était aux yeux de son employeur un employé modèle et de l’avis des employés le collègue idéal, jovial et sans histoires. Il avait naturellement son petit surnom, comme tout le monde, puisque chacun était rebaptisé par ses pairs dès qu’il entrait dans la boutique…
Bruno effectua entretemps son service militaire à Belfort où on le décréta exempt de rangers en raison d’un problème aux pieds dont il plaisantait souvent. Cette décision bénéfique le préservant des manœuvres le précipita tout de même dans ce qu’il avait coutume d’appeler sa prison, puisque de facto armurier, il passa l’essentiel de son service derrière des grilles de sécurité.
S’il fut souvent le cavalier de ces dames qu’il emmenait allégrement en valse ou autre tango, Bruno demeura cavalier seul hors de la salle de danse. Un choix ou un destin ? lorsqu’on en discutait il s’en sortait par une boutade : « c’est impossible, je suis amoureux de mes cousines ».
Il prenait un bonheur infini, infiltré dans la nature en escapade solitaire ou transcendé par la musique et son jazz envoutant, à la recherche du son parfait, celui qui participe d’un univers inaccessible aux non-initiés. Il aimait partager cette passion en harmonie avec ses frères ou son ami de toujours, Yves, avec lequel il se rendait couramment aux auditions, à Lons ou dans les salles de grandes marques d’acoustique afin de tester la dernière innovation technique.
Sur le plan sportif, Bruno et son cousin Jean-Luc s’étaient formés, entrainés et équipés pour passer ensemble à la vitesse supérieure dans des baskets performantes prévues à cet effet. Ils participèrent à quelles courses, mais c’était peut-être trop intensif, au détriment du plaisir de saisir la nature.
La randonnée le permettait et Bruno ne s’en privait pas, seul parfois ou entouré souvent de son groupe d’amis partageant la même passion, la convivialité en sus.
Son art du lancer l’avait aussi conduit à troquer très tôt les cailloux contre les boules de pétanque qu’il ajustait avec une précision d’artilleur sur tous les terrains, qu’ils fussent privés ou publiques. Passionné de pétanque, il fut président pendant plusieurs années de la section pétanque de l’Association Sportive de Ney, avant qu’elle n’acquière son indépendance et change de nom. Bruno continua de briller aussi longtemps qu’il en eut la capacité, accompagné solidairement ces dernières années par les compères du Biberon Calin. Il restera un membre d’honneur, tout comme quelques autres dont les caricatures ont été couchées sur les murs du boulodrome sous les pinceaux d’André Vuillermet.
Bruno était un calin bien ancré dans son village natal. Il avait fait partie des pompiers, dont la caserne était située dans l’ancien garage communal, aujourd’hui reconverti en annexe des logements de l’ancienne école.
Il participait à tous les évènements locaux, organisés par les associations communales, notamment le Comité des Fêtes dont il était membre actif. Il était de tous les échanges avec les allemands de Ney, qui s’en étaient fait un ami international. Il fut conseiller municipal durant deux mandats, l’un avec Claude Bourgeois, l’autre avec son cousin Gilles, également compagnon de randonnée et copain tout court.
Bruno était en somme un solitaire très entouré.
Bien dans son monde et dans le monde.
Nous garderons de lui un souvenir ému.
Condoléances à Hervé, Geneviève, François, aux neveux et nièces et toute la famille.
P.A.
